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Réouverture de la loi Muylle et consorts (2014) par Madame la Ministre Maggie De Block

Auteur: Jérôme Vermeulen, psychologue Présentation


Résumé: La Ministre Maggie De Block remet en question la loi Muylle et consorts sur la psychothérapie. La loi sur la psychothérapie est un piège pour les futurs psychothérapeutes.


Préambule: la correction de la loi Muylle a été votée au mois de juin 2016.

Lettres ouvertes ou pétitions circulent actuellement reprochant à la Ministre Maggie De Block le réexamen de la loi Muylle et consorts (2014) sur la psychothérapie. On crie au loup : Madame De Block remettrait dangereusement en question une loi magnifiquement équilibrée qui aurait enfin donné un vrai statut aux psychothérapeutes.

Je ne partage absolument pas cette analyse de la loi de 2014 qui pose de très sérieux problèmes de société. Un statut pour les psychothérapeutes, certes. Intéressant pour eux, intéressant pour les usagers, intéressant pour la collectivité, j'en doute raisonnablement. Voici pourquoi.

La loi Muylle et consorts (2014)

Cette loi telle qu'elle a été votée présente deux volets qui la rendent paradoxale dans ses applications. Le premier volet vise à donner une vraie place au sein de l'Arrêté Royal 78 aux psychologues cliniciens, professionnels de la santé mentale universitaires dont le titre est déjà protégé en Belgique depuis 1993. Cet aspect de la loi est très positif pour les psychologues dont elle renforce le statut.

A côté de ce volet, il y en a un second donnant un statut aux psychothérapeutes. La pratique de la psychothérapie est rendue accessible à des personnes sortant du secteur psycho-social moyennant une formation théorique de 500 heures, doublée d'une formation pratique à la relation d'aide. C'est ce second volet que la Ministre De Block souhaite aujourd'hui repenser en profondeur.

La loi de 2014 nous préparait en effet un secteur psy à venir très contrasté et validait les principaux soucis actuels qu'elle était sensée résoudre pour l'avenir.

Protéger un exercice professionnel, c'est homogénéiser une pratique et le niveau des formations

Il me semble que c'est la base et le but. Sinon, on ne perd pas de temps et l'argent du contribuable à légiférer. Quand vous allez voir un kiné, vous allez voir un kiné sans vous poser de questions sur sa formation. Pareil pour un dentiste, un médecin, un avocat, un architecte, etc.

Le premier souci lié à la loi de 2014, c'est de valider l'accès pour l'usager à des professionnels de la santé mentale disposant de niveaux de formation complètement hétérogènes. Concrètement, si la loi était appliquée telle quelle, le secteur de la psychothérapie verrait se côtoyer des universitaires psys (médecins psychiatres et psychologues) et des psychothérapeutes (500 heures de formation théorique).

J'ai demandé à une étudiante de première Bac psycho de l'UCL de m'envoyer la liste des ses cours pour l'année écoulée (2014-2015) ainsi que le volume horaire que cela représente. Résultat : 532 heures et demi. En d'autres termes, la loi Muylle et consorts allait donner l'accès à la pratique de la psychothérapie à des personnes disposant d'un volume horaire sensiblement identique à celui d'une première année psycho. Je parle de « volume horaire », car resterait bien entendu à définir qualitativement parlant ce que l'on mettra dans ce volume; en fac de psycho, seul un étudiant sur trois passe en deuxième.

Analogie: médecine clinique et médicothérapie

Pour faire un parallèle, en cas de souci de santé, vous n'imaginez pas avoir le choix de vous rendre soit chez des docteurs en médecine (6 ans d'université en fac de médecine), soit chez des « médicothérapeutes » (500 heures de formation théorique en école privée). Vous n'imaginez pas non plus que la loi donne une possibilité de choix personnel entre ces deux formations aux futurs praticiens de la médecine. Eh bien ! c'est tout à fait ce que nous propose la loi Muylle et consorts dans le secteur de la psychothérapie !

Un piège pour les futurs psychothérapeutes

Je l'ai dit, la loi est très positive pour les psychologues et je ne suis pas inquiet pour l'avenir des psychologues en Belgique. Comprenons bien que je ne prêche pas pour ma chapelle, elle se porte bien. La loi prévoit ainsi un remboursement par la sécurité sociale des interventions de psychothérapie des psychologues.

Mais cette loi est un piège pour les futurs psychothérapeutes. Car après leur formation de 500 heures doublée d'une formation pratique à la relation d'aide, les psychothérapeutes auront cette double caractéristique très claire : 1. disposer d'une formation théorique très courte (équivalente tout au plus à une année d'unif) et 2. ne pas être remboursés par la sécurité sociale. Si vous avez des amis, dites-leur de ne surtout pas devenir psychothérapeutes car leur avenir professionnel est inquiétant ! C'est cela le statut du psychothérapeute en Belgique prévu par la loi Muylle et consorts.

Que tremblent aussi les psychothérapeutes actuels. Loin de me réjouir pour eux comme le font certains, je m'inquiète au contraire du statut qui leur serait réservé par la loi Muylle dans son état actuel.

Un coût de mise en œuvre énorme

La Belgique, concrètement, a donc décidé de créer un statut spécifique pour les psychothérapeutes non psychologues et non psychiatres. Cela pose une autre question brûlante : où vont être formés ces psychothérapeutes ? Dans quelles écoles, par quels enseignants, quels experts, avec quels programmes, quelles validations et standardisations des compétences et évaluations finales ? A l'heure actuelle, les écoles de formation privées ne sont absolument pas préparées à cela et c'est un énorme chantier qui doit être envisagé pour tout revoir de A à Z.

Cela implique de repenser totalement tout ce secteur d'enseignement aujourd'hui très hétéroclite. Ici encore, la Belgique, loin d'être à l'avant-garde européenne, a surtout démontré son goût de l'absurde. En France, au Québec, récemment au Grand-Duché de Luxembourg, il a été décidé de laisser la pratique de la psychothérapie à des universitaires psy (psychologues, psychiatres) dont les systèmes de formation, bien qu'imparfaits sans doute, existent déjà et garantissent un niveau de formation homogène et les même exigences pour tous. On n'a pas été recréer tout un volet « psychothérapie » distinct, à grands coups de dépenses publiques, accessible moyennant une formation théorique de première année d'unif et un statut non remboursé par la sécurité sociale.

Conclusions

Cette loi n'est absolument pas équilibrée et les grands perdants sont les futurs usagers en soins de santé mentale belges et les psychothérapeutes. La loi de 2014 semble totalement paradoxale et absurde dans sa logique de double volet. Pour l'usager d'abord qui sera toujours confronté à des professionnels proposant sensément la même chose (de la psychothérapie) tout en disposant de niveaux de formation complètement hétérogènes.

Pour les futurs psychothérapeutes auxquels cette loi, qui est sensée protéger une pratique sensible, laissera le choix personnel d'une formation théorique très légère pour accéder à la même pratique que des psychologues ou des psychiatres ; mais aussi et surtout qui vont se retrouver dans un statut totalement désavantageux pour eux.

Pour les finances publiques qui doivent s'attendre à des dépenses importantes pour un résultat assez vain.

Nous devrions donc être très nombreux à nous réjouir de ce que la Ministre Maggie De Block repasse sur cette loi, en espérant qu'elle saura reposer intelligemment de bonnes bases pour ce secteur d'activité tellement sensible dans lequel la Belgique semble être passée à côté de l'essentiel.

Jérôme Vermeulen, psychologue
Webmaster du site www.lepsychologue.be
info@lepsychologue.be

Texte mis en ligne le 11-07-2015 - Mise à jour le 20-10-2016

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