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Partage informatique prochain de vos informations psychothérapeutiques en Belgique ?

Auteur: Jérôme Vermeulen, psychologue Présentation


Résumé: Jusqu'ici, les psychologues étaient tenus à un secret professionnel absolu. En consultation, ce que vous disiez restait entre vous et votre psychologue. Si les psychologues doivent déjà conserver pendant 30 ans minimum leurs dossiers, c'est la question du stockage informatique sur serveur et du partage potentiel d'informations qui m'inquiète!



Image Aurel Cham

Introduction

Cet article exprime une inquiétude concernant une dérive possible par rapport à la confidentialité absolue de ce que vous pourrez dire à l'avenir à votre psychologue. Les modalités d'application de la gestion des dossiers des patients des psychologues ne sont pas encore fixées, mais plusieurs éléments me font craindre un probable stockage sur serveur de certaines informations que vous communiquerez à votre psychologue.

Je vous rapporte ici des arguments fondés qui étayent une inquiétude autant profonde que raisonnable.

Rappel concernant le secret professionnel

Certaines professions sont tenues au silence par le secret professionnel. Ce que vous direz à ces professionnels ne pourra en aucun cas être transmis à des tiers, même avec votre consentement, même après votre mort. C’est le cas des avocats, par exemple, mais également des psychologues. C’est la base: ce que vous leur dites ne sortira pas du bureau où cela se dit.

C’est tellement la base que ce secret professionnel est d’ailleurs gravé dans le code pénal (art. 458), lequel interdit à toute personne dépositaire de confidences professionnelles de les révéler sous peine d’une amende et d’une peine d’emprisonnement.

Pour les psychologues, cet impérieux secret professionnel est également régi par notre code de déontologie (Art 5), lequel est contraignant (paru au Moniteur Belge) et placé sous le contrôle de nos instances disciplinaires.

Jusqu’à présent donc, un psychologue ne pouvait même pas communiquer à autrui que vous étiez venu·e lui rendre visite. Vous alliez voir un·e psychologue et cela restait totalement entre elle·lui et vous. C’est comme ça, et uniquement comme ça qu’on parle en confiance.

La loi sur la qualité des soins

Il est donc extrêmement inquiétant de savoir qu’en Belgique, nos représentants politiques sont peut-être en train de détricoter le secret professionnel absolu du psychologue. La situation politico-juridique est en effet la suivante.

Depuis quelques années, les psychologues cliniciens sont assimilés aux professions de soins de santé. Par voie de conséquence, les psychologues doivent se soumettre à une loi dite « Loi sur la qualité des soins ». Cette loi comporte des aspects très positifs.

Le souci pour les psychologues est que cette loi prévoit, pour le bon suivi de votre santé, que les professionnels de soins de santé que vous allez consulter encodent informatiquement, éventuellement à des fins de partage, le motif de votre visite ainsi que différents éléments pertinents pour votre santé (articles 11 et 12 de la loi qualité).

Le partage de vos informations psychothérapeutiques, un fantasme infondé ?

Cette loi comporte en effet tout un passage lié au partage par défaut d'informations médicales.

Nous, psychologues, tentons de faire comprendre que les données récoltées durant nos entretiens ne sont pas médicales mais tiennent quasi toujours à l’intimité de la sphère mentale et de la vie privée, à des événements de vie, par exemple des soucis de couple ou professionnels.

Si la politique engagée depuis plusieurs années se maintient, les psychologues pourraient en effet se retrouver dans l’obligation de stocker informatiquement, très possiblement à des fins de partage avec d’autres professionnels, certaines données liées à votre passage chez eux.

C'est ce qu'anticipe clairement la très officielle Commission belge des Psychologues (qui n'est pas à l'origine de cette décision). Dans un article dédié au dossier informatisé des psychologues, elle nous suggère l'utilisation d'un dossier en trois parties, la partie 2 étant celle destinée à d'autres professionnels de la santé (vers l'article sur le site www.compsy.be). Sachez également que le stockage de vos dossiers psys est déjà obligatoire pour une durée minimale de 30 ans mais pas sur serveur !

Et puis s'il en est bien avec lesquels il ne faut surtout rien partager, ce sont les potentiels pirates, extrêmement intéressés par les données médicales. Je vous invite si vous le souhaitez à lire mon article bien documenté sur le sujet.

Stockage informatique sur serveur ?

Là encore, rien n'est écrit. Il me semble toutefois difficile d'imaginer que le législateur fera une exception pour les psychologues en acceptant un stockage sur leur ordinateur personnel. En 2024, qui dit stockage et partage dit "cloud" et "serveur". L'esprit de ce partage (que je ne critique pas sur le fond en matière de qualité des soins) est de permettre à différents intervenants médicaux d'avoir un accès rapide au dossier médical d'un patient. Donc de centraliser les données. Et il n'est donc pas sot de penser que les psychologues seront intégrés dans ce système pré-existant.

Là aussi, la loi qualité vous donne, en tant que patient, des droits de décision. Mais rien n'est aussi simple dans les faits. En fait, le système pose une série de questions concernant les autorisations d'accès mais aussi une politique à géométrie variable et évolutive, difficilement gérables par les patients (cf article de l'Absym sur le sujet).

Serons-nous obligés, par exemple dans un contexte de remboursement INAMI, d'encoder les motifs des visites ou une partie de nos dossiers patients sur un serveur ? Nos patients auront-ils vraiment la possibilité de le refuser ? Un psychologue dont 100% des patients refuseraient risque-t-il d'être inquiété ?

Si tel est le cas alors nous irions vers une inversion de ce qui était en place depuis des décennies : d’une situation où faire sortir de notre bureau ce que nos patients nous disent était punissable, nous pourrions nous retrouver dans une situation où ne pas en faire rapport sera passible de sanctions.

A lire aussi sur ce sujet: mon billet d'humeur dans la Libre Belgique de ce 28 mai 2024.


Texte mis en ligne le 31-05-2024 - Mise à jour le 01-06-2024

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