Depuis la nuit des temps (cfr. la tragédie grecque et notre illustration d'un masque de théâtre grec), la représentation scénique et le jeu rituel autour des difficultés, des problèmes et questions qui nous touchent, font partie de notre humanité. Un psychiatre, J.L.Moreno, au début du 20ème siècle, en a fait une méthode thérapeutique dont les principes de base sont la spontanéité, la présence et la participation empathiques de spectateurs-acteurs, ainsi que la conduite de la séance par un meneur de jeu. Il l’a baptisée « psychodrame ».
Cette méthode convient tant à des buts thérapeutiques que pour former des professionnels à la relation d’aide, à l’animation de groupes, à l’exploration en groupe de questions familiales, pédagogiques, éducatives, sociales.
A sa suite, de nombreux courants de pensée et d’action psychothérapiques-on pense principalement aux approches psychanalytiques et systémiques- ont poursuivi et infléchi l’utilisation de l’outil psychodrame.
Ainsi, on parlera suivant les cas de psychodrame individuel (un patient, un groupe d’acteurs-thérapeutes et un directeur de séance), de psychodrame de groupe. (cfr les pratiques de Anzieu et Kaës au CEFFRAP : l’attention est centrée sur le groupe en tant que tel : les jeux produits par les participants servent à éclairer la dynamique inconsciente du groupe), ou de psychodrame en groupe (avec la participation d’un groupe, une personne explore la question qu’elle amène à travers son jeu). Nous nous attarderons davantage sur cette dernière approche, qui est sans doute la plus pratiquée en Belgique francophone.
Quelles sont les indications du psychodrame ?
Notons, comme indiqué ci-dessus, que ce sont les indications du psychodrame à but thérapeutique en groupe qui sont abordées ici.
Le psychodrame thérapeutique en groupe (parfois mené en parallèle avec un travail individuel) offre plusieurs avantages. Il s'indique particulièrement pour ceux qui ont le sentiment de « patiner » depuis longtemps dans une thérapie individuelle, ceux qui rencontrent des difficultés de mentalisation, de représentation et de verbalisation de leur problématique, et/ou qui éprouvent des difficultés relationnelles dans les groupes sociaux.
Il convient aussi aux personnes qui, trop prises par des émotions intenses et envahissantes, ne peuvent pas soutenir leur travail thérapeutique par leur parole seule et le silence de l’analyste.
Un groupe de psychodrame est ouvert à toute personne qui s’interroge sur les difficultés qu’elle rencontre (choix, ruptures, deuils, sentiment d’être en porte à faux avec son entourage,…), et est prête à les explorer en les jouant. Autant des situations traumatiques que des difficultés de la vie quotidienne peuvent être abordées. Le psychodrame permet également de (mieux) percevoir la place occupée dans les relations amoureuses, familiales, professionnelles,…
Quelles sont les règles principales du psychodrame ?
Elles sont « classiques » dans la ligne d’autres thérapies en groupe, avec une précision en ce qui concerne le jeu :
- Liberté de parole absolue : on peut véritablement tout dire.
- Par contre l’on ne peut pas tout faire, certainement dans les registres de l’amour (ex : s’embrasser) ou de la haine (frapper réellement). Le jeu implique justement le « comme si » : si l’on veut embrasser quelqu’un, on fait semblant.
- Ponctualité et assiduité dans la participation. Notamment, les séances manquées sont dues.
- Secret du groupe: ce qui s’y dit y reste et n’est pas divulgué à des tiers;
- Abstinence: les participants sont invités à ne pas chercher à avoir en dehors du groupe des relations réelles ;
- Restitution: si des pensées ou des échanges (lors de pauses par exemple) concernent le travail en cours, les participants sont invités à en reparler en séance.
Autres éléments du dispositif thérapeutique
Les séances ont lieu soit à jours et heures fixes (une fois/semaine ou par quinzaine), soit en sessions bloquées (WE).
Les groupes sont soit fermés pour une certaine durée, soit « lentement ouverts » en fonction du temps nécessaire à chacun pour faire les évolutions qu’il souhaite.
Les animateurs mènent toujours des entretiens préalables à l’entrée d’un participant dans un groupe pour discuter de la pertinence et de la faisabilité du projet.
En cours de thérapie, ils peuvent toujours être sollicités par les participants pour faire le point individuellement.
Déroulement type d'une séance de psychodrame en groupe
Les séances sont animées, soit par un seul psychodramatiste, soit par deux. Actuellement les praticiens en Belgique francophone préfèrent travailler à deux. Dans ce cas, une personne est le meneur de jeu, l’autre l’observateur, qui n’interviendra qu’en fin de séance. Ces deux rôles s’échangent d’une séance à la suivante.
En ouvrant la séance, l’animateur donne la parole et demande à chacun avec quoi il vient, ce qu’il ressent ici et maintenant. La parole circule entre les participants, les vécus des uns résonnant chez les autres. Chacun « se tâte » dans ce premier temps de séance, soupèse son envie ou ses craintes à jouer quelque chose, à s’impliquer. Moreno appelait cette phase « Warming-up » : on s’échauffe, l’énergie vers un jeu monte, se dessine progressivement qui va avoir envie de jouer.
Dans un deuxième temps...
Dans un deuxième temps, une personne demande le jeu, ou parfois l’animateur invite quelqu’un à jouer lorsqu’il le sent suffisamment prêt. La personne, qu’on désigne sous le terme de « protagoniste », se lève, l’animateur marche éventuellement avec elle afin de préciser la scène qui sera jouée, où elle se passe, qui sont les personnages qui y interviennent, etc…
C’est toujours le protagoniste qui choisit les participants de sa scène : il demande donc à tel ou telle participant-e du groupe si elle veut bien se prêter à incarner tel personnage de son scénario. Le meneur de jeu propose au protagoniste de « doubler » les personnes qu’il a invitées à monter sur scène : ce dernier leur dit donc quels sont, selon lui, l’état des pensées, sentiments, désirs, craintes des personnages qu’ils incarnent. Le jeu peut ensuite se dérouler avec son lot de surprises, de répliques inattendues, incongrues : les effets thérapeutiques se situent déjà là : le jeu joué n’est jamais le jeu imaginé : un écart s’y produit.
En cours de jeu, le meneur de jeu peut utiliser différentes techniques (doublages, changements de rôles, demande qu’un nouveau personnage rentre en scène, interview du protagoniste,…) afin d’aider à faire apparaître les enjeux latents du jeu. Le meneur arrête le jeu sur un moment signifiant ou demande au protagoniste de conclure lui-même son jeu.
Dans le temps suivant la parole revient au protagoniste, aux acteurs qui ont joué ainsi qu’aux observateurs-participants qui n’ont pas joué activement mais qui ont été touchés, interpellés. Cette phase est très importante car elle permet une prise de recul, une élaboration psychique alors que le jeu est parfois très « à chaud », immédiat, prenant. En permettant à chacun de dire ce qu’il a vécu dans le rôle, ce tour de parole achève le « dérôlage » de chacun et met en mots les enjeux perçus dans le jeu.
Une autre question centrale est : en quoi ce jeu a-t-il renvoyé chacun à ses propres enjeux personnels ?
Et la séance de psychodrame se clôture...
La séance se clôture sur le relevé de séance que donne à entendre l’observateur au groupe. Ce temps ferme la séance mais ouvre pour chacun de nouvelles interrogations.
Une séance dure selon les pratiques environ 1h30.
